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A la découverte des contes

... La «ouivre» de Salanfe ...

Jegerlehner, RCL du Trient, Editions A La Carte

St. Maurice

ouivre

Parmi tous les alpages valaisans, Salanfe est l’un de ceux qui ne laisse personne indifférent, tant la beauté du site, riche et varié, réunit tout ce que peut désirer l’imagination du poète, ou tout simplement la curiosité du promeneur.

Par contre, il y a fort longtemps, un gardien, la terrifiante « ouivre », guettait quiconque se hasardait dans les parages. Aucun être humain ne se risquait à fouler le vert gazon de ce délicieux recoin. Gare au chasseur trop aventureux, gare au touriste inconscient : c’était un homme mort.

Chaque jour, la «bête» allait se désaltérer dans les flots de la Pissevache.

Les hommes de la région tinrent conseil. Il fallait absolument se débarrasser de cet hôte encombrant.

Les chasseurs les plus courageux, protégés par des rochers inabordables avaient maintes fois épaulé leur fusil pour en finir avec l’horrible monstre, mais les balles se heurtaient à la peau coriace sans lui faire la moindre égratignure.

H. Décaillet fit alors une proposition qui retint l’attention de tous : « Qu’on amène les trois condamnés à mort du château St-Maurice ! S’ils parviennent à tuer la bête, on leur laisse la vie sauve ».

Inutile de dire que nos trois lascars acceptèrent tout de suite cette proposition malgré tous les risques que l’expédition comportait. Entre la hache du bourreau et les griffes de la « ouivre », le choix était fait.

Ils firent venir un de leurs amis, chimiste ou charlatan. Ce qu’ils se dirent demeure à jamais secret. Toujours est-il qu’ils ne perdirent pas leur temps, et que leur imagination s’activa de plus belle !

Le lendemain, on les conduisit aux portes de la ville. Ils furent revêtus d’un habit de toile solide. Chacun reçut un poignard. Et après que le prêtre de l’abbaye les eût confessés et bénis, voici que leur ami le charlatan arriva, un sac sous le bras et un long bâton sur l’épaule.

Les curieux accourus en foule se demandaient ce que le sac pouvait bien contenir et quel était leur plan ?… Peine perdue !

Nos trois condamnés se mirent en route, accompagnés à bonne distance des gardiens et de quelques curieux. Après plus de trois heures de marche, ils parvinrent en vue du repaire de la «bête». Gardiens et curieux s’arrêtèrent et se mirent soigneusement à l’abri entre deux rochers. Nos condamnés se dirigèrent vers le col, prêts à affronter le monstre.

C’était l’heure exquise où la « ouivre », après s’être désaltérée, regagnait son antre à grands pas, laissant dans le sol la marque de ses pieds monstrueux.

Malgré la crainte que leur inspirait cet être venu d’un autre monde, les trois hommes pensaient à la hache du bourreau. Plus moyen de revenir en arrière. Ils se campèrent au beau milieu du sentier, tenant chacun leur perche devant eux, au bout de laquelle se balançait le sac mystérieux.

L’animal avait rugi d’horrible façon en apercevant ce repas de chair humaine. Ses dents claquèrent avec un bruit épouvantable. Sans calcul ni méfiance aucune, consciente de son invincibilité, elle fondit les proies offertes en salivant par avance.

Les trois courageux ne bronchèrent pas. Le contact fut digne des plus grands récits bibliques. Ils lui enfoncèrent la perche dans la gueule. On vit l’animal se cabrer, hurler à mort avant de s’effondrer dans un ultime soubresaut sur la pente qui mène au précipice. Le poison contenu dans les sacs avait fait son œuvre. Dans sa chute, elle entraîna avec elle deux de ses meurtriers. Le troisième, un beau jeune homme de 30 ans, condamné à mort pour avoir molesté un seigneur du pays, sortit de l’aventure sain et sauf. Un grand changement s’était opéré en lui : ses cheveux, autrefois aussi noirs que le charbon, étaient maintenant devenus blancs.

Notre héros, suivi des gardiens et des courageux curieux, fut reçu triomphalement à St-Maurice. Il obtint la grâce et la fête dura jusqu’au petit matin.

Les autorités lui donnèrent un territoire avec une belle ferme. Il eut même droit à la part de chacun de ses deux malheureux compagnons.

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