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A la découverte des contes

... Le revenant du château de Vaas ...

Solandieu Récits, contes et légendes du Grand Lens, Editions à la Carte, 1996

 

Le petit château de Vaas, bien délabré aujourd’hui, est situé sur la montagne de Lens, à flanc de coteau, dans un site paisible et solitaire.

Il était, au XVIIIe siècle, la demeure d’un « grand châtelain », mais tout, dans sa construction, indique une origine beaucoup plus ancienne. Ses murs bosselés et recouverts d’une couche de ciment glacé portent des fresques très curieuses rappelant certaines scènes du temps féodal. On y voit des serfs au labour, sous l’œil du seigneur et de la dame, des cavaliers en pourpoint et chevauchant, un hallebardier montant la garde à la porte du château, une chouette sous un avant-toit et plusieurs dragons, monstres hideux décorant les fenêtres. Ces peintures si frustes et lézardées ne tarderont pas à disparaître si le pinceau d’un artiste ne vient pas, à brève échéance, chercher à les reconstituer.

Donc, avant l’époque où le grand châtelain Lamon était possesseur de cet ancien fief, qui dut être, selon toute probabilité, une seigneurie d’Anniviers, ce castel rustique était, vers la fin du XII siècle, une résidence d’été du chevalier de Morestel, co-seigneur de Granges et vidome de Bagnes, mort en 1334. La famille s’éteignit quelques années plus tard, et le château fut mis en vente pour payer les dettes de son dernier rejeton, Perrod de Morestel, mort en 1366.

Il fut acheté par un étranger taciturne et sombre que l’on trouva un jour pendu au milieu de la grande chambre. Le château fut remis en vente par les héritiers.

Deux acheteurs se trouvaient en présence. Le premier était un homme d’une réputation détestable, dont la chronique ne nous a pas conservé le nom, mais qui passait pour un mécréant. A force d’argent et d’intrigues, il parvint à évincer son concurrent Bocquillard, et prit immédiatement possession de sa nouvelle demeure.

Mal lui en prit, car dès la première nuit qu’il passa dans le château, il dut se convaincre qu’il était hanté par de mauvais esprits qui lui en rendraient le séjour impossible.

En effet, il était à peine couché et sa lampe éteinte, qu’il voyait, à la faveur de la lune, un spectre se balancer au plafond, suspendu à un crochet de fer. Puis, faisant un effort pour chasser cette horrible vision, il se tournait contre la ruelle, emmitouflé dans ses couvertures. Mais à peine commençait-il à sommeiller, que sa chambre était envahie par un hallebardier qui le piquait de la pointe de son arme, par des chevaliers chevauchant autour de son lit, par les cris lugubres d’une chouette postée sur la fenêtre et de longs et terrifiants dragons qui sortaient du mur pour venir dresser leurs têtes affreuses près du lit.

La seconde nuit fut plus mauvaise encore: des rats d’une grosseur effrayante rampaient le long des boiseries, un ménestrel jouait de sa viole sur un escabeau, scandant les gestes du pendu qui continuait à se balancer, hideux, au milieu de la chambre. Et les nuits se succédaient dans cette infernale comédie. Le bonhomme en en séchait et n’osait rien dire.

C’en était trop, et comme le nouveau châtelain n’avait aucune foi dans les exorcismes il se décida, de guerre lasse, à abandonner son château. Dans ce but, il proposa à son concurrent de lui revendre le castel à bas prix, prétextant son intention de quitter le pays pour aller guerroyer sous les étendards du Comte Vert.

Le marché fut conclu, bien que le nouvel acheteur flairât quelque piège de la part du rusé propriétaire. Et quelques jours plus tard, Bocquillard prenait possession du château.

Bocquillard était un brave homme, laborieux, juste, et d’une piété à toute épreuve; la conscience tranquille, il vivait, partant, très heureux.

Toutefois, la première nuit qu’il passa au château, dans la grande chambre, fut très mauvaise. Le spectre du pendu, comme auparavant, apparut dès l’extinction du feu, et se balança à son crochet, tandis que le sabbat recommençait de plus belle.

Bocquillard alluma sa lampe et se mit à réciter son rosaire. Tout disparut incontinent, et le nouveau châtelain passa toute la nuit en prières.

Le lendemain, pensant avoir enfin chassé les mauvais esprits, Bocquillard se coucha sans aucune crainte. Mais il n’avait pas éteint sa lumière que le spectre reparut avec son cortège de dragons, de chouettes, de chevaliers et de hallebardiers dansants. Le pauvre homme ralluma son crésus, reprit son rosaire et recommença prières et litanies. Tout s’évanouit aussitôt comme un jet de vapeur. Cette situation intenable exigeait d’avoir recours aux moyens suprêmes. Bocquillard résolut donc d’aller confier son cas au Prieur de Lens, et de lui demander de venir conjurer les mauvais esprits.

Mais un certain amour-propre le retint, et, avant de tenter cette ultime démarche, il songea à user d’un stratagème peu banal, mais qui, grâce à du courage et à du sang-froid, devait le délivrer de l’empire du démon.

Quand la troisième nuit arriva, Bocquillard suspendit sa lampe à un clou voisin du crochet où le revenant venait se suspendre. Il monta sur un escabeau, attacha au crochet une corde qu’il se passa autour du cou, prit l’attitude d’un pendu, souffla sur sa lampe et attendit bravement l’arrivée du spectre. Celui-ci apparut bientôt sur le seuil de la chambre, mais, voyant sa place occupée, il ne douta pas que ce ne fût lui-même qui était là, et s’écria d’une voix gutturale: « Ah!  j’y suis déjà ! », puis il disparut en poussant un grognement.

Dès ce jour, le revenant ne revint plus jamais, et le brave Bocquillard put jouir en toute paix de la juste possession de son château.

 

 

 

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