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A la découverte des contes

... Le mulet de Liddes ...

B., 1801 Récits, contes et légendes des Dranses, Editions à la Carte, 2000

 

On compte dans le bourg de Liddes environ 60 mulets, qui journellement montent la montagne et la redescendent ; leur charge ordinaire est de 300 livres : la taxe d’un mulet, y compris l’homme qui l’accompagne, est de 5 batz, outre un batz pour le commissaire qui le commande : mais les étrangers payent communément quelque chose de plus.

Il faut avoir habité les Alpes pour sentir tout le prix du mulet. La nature semble l’avoir destiné à y vivre pour soulager l’homme dans ses travaux. Sobre, il se contente d’un peu de foin mêlé de paille hachée : infatigable, il marche jusqu’à ce qu’il succombe sous le poids de sa charge : prudent, il choisit ses pas et se tire des endroits les plus difficiles : intelligent, il observe les obstacles qui se présentent devant lui, et il les évite : enfin d’une patience inépuisable, son maître le maltraite et l’oublie, sans qu’il paraisse s’en apercevoir.

Mais avec ces bonnes qualités le mulet a ses défauts : il est opiniâtre, rancunier, vindicatif, moins, il est vrai, à l’égard de son conducteur que des étrangers.

Un mulet de quatre ans coûte ici de 18 à 20 louis ; il est de bon usage pour la montagne jusqu’à huit ans, après quoi on le vend dans la plaine, pour servir au labourage, ou à des transports moins difficiles. Cet animal monte aisément, quelque lourde que soit sa charge ; mais à la descente, il est sujet à broncher, surtout s’il chemine isolément ; car, aimant beaucoup la compagnie de ses semblables, il s’ennuie et ne fait aucune attention à la route, quand il est seul : il marche toujours le plus près qu’il lui est possible du précipice, ce qui inquiète et effraye l’étranger peu accoutumé à cette monture. Mais c’est une suite de l’intelligence de cet animal : il a observé que lorsqu’il est chargé, il est exposé à s’accrocher ou à heurter contre les rochers qui bordent communément un des côtés de sa route, ce qui lui occasionne des chutes. Pour éviter cet inconvénient, il marche sur le côté, et par conséquent au bord du précipice.

Quand la neige est amollie par les rayons du soleil, ou que l’été commence à la fondre, le mulet est beaucoup plus sujet à s’enfoncer et à tomber : les conducteurs ont alors beaucoup de peine à le relever ; les uns le soulèvent par la queue ; les autres par le col ; s’ils ne peuvent en venir à bout, ils prennent le parti de le décharger, et de le recharger ensuite ; ce qui leur consume beaucoup de temps.

Le plus grand des malheurs pour le muletier, c’est lorsque l’animal se casse une jambe, et cet accident n’est pas rare ; alors, pour ne pas le laisse souffrir, on l’assomme sur la place : car les fractures du mulet, tout comme celles du cheval, ne peuvent se raccommoder : quelquefois il roule dans les précipices, et s’il a le bonheur de ne pas périr en tombant, on le retire avec des cordes.

La tactique du mulet consiste à marcher exactement sur les traces de ceux qui l’ont devancé, et il faut le laisser faire : en général il est ennemi de toute contrainte.

 

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