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A la découverte des contes

... Le « Pizzo Castello » ...

Le Pizzo Castello s’élève fièrement entre les hautes montagnes qui bordent le Misox. Il ressemble à un énorme château qui domine les petits villages blancs de la vallée, entourés de vignobles verts et de jardinets soignés.
Il y a très longtemps de cela, une ravissante jeune fille vivait dans le village qui est niché au pied du Pizzo Castello. « Elle est aussi magnifique qu’une fleur ! », disait-on. C’est pourquoi on la nomma Fiorenza qui, en italien, veut dire « la plus belle des fleurs ».
Fiorenza était encore très jeune lorsque sa mère mourut à la fin d’un triste jour d’automne, alors que les premiers brouillards noyaient le village. La jeune fille, restée seule, eut un si grand chagrin de cette perte que personne ne parvint à la consoler.
Elle était assise un soir à son rouet quand un coup frappé à la porte la fit se lever d’un bond. Qui pouvait donc venir à une heure si tardive ? Vous auriez été aussi effrayés qu’elle de voir entrer une troupe d’étranges petits hommes qui paraissaient être aussi vieux que les pierres et qui ressemblaient aux gnomes des légendes alpestres. Fiorenza ouvrit de grands yeux. Mais avant qu’elle ne fût revenue de son étonnement, un des petits hommes lui dit: « N’aie pas peur, mon enfant, nous sommes accourus pour te délivrer de ta solitude. On prétend qu’il n’y a plus de nains dans la montagne, et pourtant nous existons toujours et nous travaillons pour le bien de l’humanité. Grâce à nous, les forêts prospèrent sur les pentes et les sources jaillissent des glaciers et des roches. Nous te connaissons, Fiorenza, viens avec nous, tu seras notre reine et tu mèneras une vie heureuse. Mais à la condition que tu nous promettes de ne jamais demander à retourner au milieu des hommes.
– Je vous suivrai volontiers, répondit Fiorenza, puisque, hélas, aucune affection ne me retient plus ici.
C’est ainsi que Fiorenza quitta le village pour s’en aller, avec les nains, dans la montagne. Le chemin fut long et ardu et le jour pointait déjà lorsque la petite troupe arriva au château des gnomes, au milieu d’une clairière entourée de rochers escarpés. La richesse et la splendeur de ce château émerveillèrent Fiorenza qui vécut dès lors comme les fées des contes dont sa mère lui avait décrit l’existence enchantée. Pour se parer, elle tressait des couronnes d’edelweiss et de rhododendrons et brodait ses vêtements de fils d’or et d’argent. Et les nains la servaient diligemment, en loyaux sujets qu’ils étaient.
Un beau jour, cependant, un grand bruit réveilla les échos de la montagne. Le petit peuple des nains s’effraya. « Des hommes veulent attaquer notre château », crièrent-ils tous ensemble.
– N’ayez aucune crainte ! leur dit Fiorenza pour les tranquilliser. Puis elle se rendit sur la terrasse que les nains avaient bâtie pour leur reine afin qu’elle pût, chaque matin, assister au lever de l’aurore. Et que vit-elle ? Un jeune chevalier qui, avec ses camarades, essayait de forcer l’entrée du château.
– Qui es-tu, belle jeune fille ? demanda le chevalier quand il aperçut Fiorenza.
– Je suis la reine des nains de la montagne, et je te défends d’entrer dans mon royaume, répondit-elle. Puis elle disparut subitement, comme si les rocs l’eussent engloutie. Mais le soir même, Fiorenza se montra inquiète. Il lui semblait qu’elle manquait d’air et d’espace dans ce château, et la sollicitude des nains lui pesait… Pourquoi avait-elle accepté de régner sur eux au lieu de rester au milieu des hommes dans le petit village blanc dont elle s’ennuyait tout à coup ? Elle pensa à la tombe solitaire où dormait sa chère maman et, le jour suivant, elle dit aux nains qu’elle voulait rendre visite à cette tombe que personne ne fleurissait.
Le village avait bien changé. Tant d’années avaient passé depuis que Fiorenza l’avait quitté. Au cimetière, elle ne retrouva pas la tombe qu’elle cherchait, car les mauvaises herbes avaient tout
envahi. Désespérée, elle errait entre les croix de bois et de pierre, et le soir tombait déjà quand elle entendit, tout près d’elle, une voix qui disait:
– Quel est ton nom, jeune fille ?
– Fiorenza, répondit-elle, et son cœur battit de joie car elle avait reconnu le jeune chevalier.
– Je suis le fils du comte de Misox, reprit le jeune homme, et j’habite la tour de Grono qui, en ton honneur, s’appellera désormais la tour de Fiorenzana, car elle deviendra notre demeure. Accorde-moi ta main; tu seras mon épouse et la reine de cette contrée.
Fiorenza se souvint alors de son serment. Mais le jeune chevalier avait gagné son cœur. Elle lui promit de revenir et le quitta pour regagner en courant la montagne. Inaperçue, elle se glissa entre les hauts rochers. Dans son royaume régnait une agitation pareille au bruissement d’une ruche d’abeilles. II lui semblait que des centaines de petits pieds trottinaient çà et là et que la montagne, tout à coup, était devenue vivante. Mais ce n’étaient que les battements précipités de son cœur, car elle avait renié sa promesse et elle redoutait la colère des nains.
Comme le jour se levait, elle voulut se rendre sur la terrasse. La porte était verrouillée. Elle essaya de sortir par une seconde porte, par une troisième. En vain. Alors elle appela les nains et leur donna l’ordre d’ouvrir les portes. Mais les nains refusèrent: « Non, dirent-ils, nous ne te permettrons pas de partir ; nous savons que le jeune chevalier t’attend et nous ne voulons pas perdre notre reine.»
Fiorenza baissa tristement la tête. Elle réalisa que le magnifique château ne serait plus, désormais, pour elle, qu’une prison. Des jours et des jours, elle pleura. Et comme les nains craignaient que le chevalier n’entendît ces pleurs, ils exhaussèrent à plusieurs reprises les tours et les murs du château, si bien que le Pizzo Castello domina les montagnes environnantes. Maintenant, il regarde de très haut les petits villages blancs de la vallée, au milieu des vignobles verts et des jardinets soignés. Et il domine aussi la vieille tour grise de Fiorenzana qui rappelle le mélancolique souvenir de la belle Fiorenza et de son amour malheureux.

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