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A la découverte des contes

... Le Taureau cuirassé ...

Louis Courthion « Les Veillées des Mayens », 1896 – rééd 1996 Editions à la Carte, Sierre

Autrefois, les gens de Nendaz étaient maîtres de la montagne de Louvye. Mais chaque année on y déplorait de nombreuses pertes de bestiaux, à cause de la présence d’un monstrueux serpent nommé: la Ouïvra.

Ne pouvant porter aucun remède à la situation, ils renoncèrent petit à petit à exploiter cette alpe, déjà un peu éloignée de leur vallée, malgré le sentier que l’on prétend reconnaître à travers le massif du Grand-Mont-Fort et les glaciers du Grand-Désert ; et Louvye avec ses grands pâturages resta dans l’abandon.

Les Bagnards qui, de leur côté, convoitaient cet alpage, résolurent d’en entreprendre la conquête.

A l’entrée de ce verdoyant vallon la Ouïvra, en perpétuel éveil, arrêtait les hommes les plus audacieux.

Alors, ils prirent un jeune taureau, le nourrirent pendant sept années avec du lait et lui construisirent une forte armure de fer battu, avec des articulations merveilleusement comprises et abondamment huilées.

Il ne s’agissait plus que d’affronter le choc. Au jour fixé, les Bagnards, confiants en leur champion armé de cornes superbes, l’accompagnèrent en grand nombre.

L’énorme reptile, qui avait une tête de chat, attendait l’assaillant du haut du plateau.

Un sifflement strident se croisa dans l’air avec les notes plus basses d’un beuglement sinistre. Le serpent et le taureau étaient aux prises.

Le premier s’enroulait autour de l’armure avec une prodigieuse souplesse ; l’autre, furieux, fouettait l’air de ses cornes, cherchant à entamer son rusé adversaire ; puis, ne pouvant réussir, se coucha sur le gazon, se vautra de toute la pesanteur de son corps et enfin se releva l’une des cornes piquée dans les entrailles du reptile, dressant et agitant sa tête comme une gorgone. La Ouïvra dépensait ses dernières forces à s’enrouler autour de la tête et du cou de son vainqueur.

Dès que celui-ci eut joui dans toute la gloire des applaudissements du public, il reprit son élan et enfonça ses cornes dans le sol, mettant ainsi le monstre en mille morceaux.

Depuis, la commune de Bagnes exploite à son bénéfice les pâturages de Louvye. Mais le vainqueur n’a point joui de sa victoire. Dès qu’on lui eut arraché son armure, il tomba mort, d’émotion sans doute, car son corps ne portait aucune trace de la moindre blessure.

 

 

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