← Back to previous page

Discovering stories

... Zacheo, missionary dwarf ...

Mario*** RCL Val d’Anniviers, A la Carte editions

 

Une tradition fort accréditée veut que les habitants de la vallée d’Anniviers aient été les derniers à embrasser le christianisme. Les diverses peuplades qui s’étaient établies, soit dans la plaine du Rhône, soit dans les vallées latérales, avaient déjà reçu le baptême, et Sion était depuis longtemps le siège d’un évêché, que les farouches Anniviards immolaient encore aux divinités païennes, les missionnaires assez hardis pour oser franchir le seuil de leur vallée.

Séparés du monde entier par leurs rochers, sans autre ambition que celle de vivre libres et solitaires à l’ombre des montagnes où leurs ancêtres, une tribu de Huns ou de Sarrasins, (l’on n’est pas encore d’accord sur ce point) avait trouvé un refuge; ces barbares n’avaient aucune relation avec les gens de la plaine.

Ils se vêtaient de peaux d’animaux. Les produits de la terre et ceux de leurs troupeaux auraient suffi amplement à leurs besoins, si une chose nécessaire, le sel, ne leur avait manqué, leur territoire n’en présentant aucun vestige.

Pour s’en procurer, de temps à autre, ils faisaient irruption dans la plaine, de préférence à Sierre qui se présentait à eux au débouché de la vallée, et le réclamaient comme un tribut, prêts, la massue à la main, à l’obtenir de force, si on ne le leur accordait pas de bon gré.

Ce fut dans l’une de ces sorties que, trouvant dans la rue un enfant difforme, espèce de nain qu’ils prirent pour un animal curieux, ils s’en emparèrent sans plus de façon que si c’eût été un sac de sel, et l’apportèrent au chef de leur tribu qui le garda parmi les siens et le traita avec bonté. Néanmoins, au bout de trois ans, le pauvre enfant, désireux de revoir les siens, parvint à s’échapper et regagna Sierre.

Plus tard, parvenu à l’âge d’homme, le même nain dont le nom était Zachéo, conçut le désir d’amener à la foi chrétienne les sauvages habitants de la montagne, comptant sur la connaissance qu’il avait de leur idiome pour être favorablement reçu par eux, et leur faire connaître les vérités révélées par Dieu aux hommes.

Mais comme tous les efforts tentés jusque-là pour convertir ces barbares avaient misérablement échoué, les premiers, à qui Zachéo fit part de son projet, l’accueillirent par des risées et des moqueries. Loin de se décontenancer, le courageux petit nain se borna simplement à prier le sire de Rarogne, seigneur de Sierre, de lui prêter un beau livre d’Evangiles, orné de lettres d’or et de gravures, que plus d’une fois, il lui avait vu feuilleter ; and, muni de ce précieux volume, dès le lendemain, après avoir passé la nuit en oraisons, il s’enfonça résolument dans l’étroit défilé qui forme l’ouverture de la vallée.

On n’y pénétrait qu’en remontant le cours de la Navizance, et en escaladant les quartiers de roche entassés dans son lit. Par bonheur, cette année-là, un été très chaud avait réduit ce torrent à l’état d’un ruisseau de peu d’importance.

Pour un être d’aussi chétive complexion que Zachéo, l’entreprise était ardue. Dans les endroits les plus escarpés, il poussait son livre devant lui sur le rocher, auquel il s’accrochait ensuite les pieds et les mains, et c’est en glissant ainsi de bloc en bloc, que vers le soir il atteignit, exténué de fatigue, l’entrée de la vallée. L’homme de garde, car il y avait toujours une vedette à cet endroit, le reconnut sans peine. Il le réconforta avec du lait et le conduisit vers les anciens de la tribu qui tenaient précisément conseil ce jour-là. Tous se réjouirent du retour du nain, dont après dix-sept ans d’absence, la difformité était devenue encore plus frappante. Seul, le vieux chef aveugle, which, assis sur une pierre élevée, présidant le conseil, fronçait le sourcil.

Après quelques instants de réflexion, il rappela aux siens que selon l’ancien usage, le nain, comme tout étranger qui s’introduisait dans la vallée sans y être appelé, devait être sacrifié au géant du glacier; et il ajouta: « Quand Zachéo a été apporté ici, je ne l’ai pas fait mourir, je l’ai nourri avec mes chiens; mais aujourd’hui qu’il vient de lui-même, d’après la loi de nos pères, il doit mourir. Que son sang retombe sur lui! »

Les ordres du vieillard, Zachéo le savait, étaient irrévocables. Par conséquent, il ne lui restait d’autre espoir que celui d’obtenir un sursis à cette sentence. Il déploya son trésor qu’il avait gardé, jusqu’à ce moment, dans les plis de son écharpe, et se retournant vers son juge:

– Maître, lui dit-il, avant de me sacrifier au dieu du glacier, accordez-moi encore le temps de vous lire une des belles histoires contenues dans le livre que j’ai apporté. Puisque vous ne pouvez voir les images dont il est orné, il vous sera agréable sans doute que je vous en donne l’explication…

Cela dit, et sans attendre la réponse, d’une voix que l’émotion rendait plus pénétrante, le petit apôtre se mit à lui traduire le texte sacré en commençant le onzième chapitre de l’Evangile selon saint Jean.

L’impression fut complète. A la demande générale, le vieux chef consentit à laisser vivre le nain jusqu’à ce que celui-ci eût lu le livrer entier, dans les jours consacrés, devant l’assemblée réunie.

Ainsi des semaines et des mois, voire une année s’écou-lèrent sans que Zachéo fût inquiété en aucune manière. Bien au contraire, sa sagesse et sa douceur lui avaient gagné l’affection des barbares qui, d’ailleurs captivés par la lecture de la Parole divine, n’étaient point pressés d’en voir la fin.

Mais comme il n’est point de chose si belle qu’elle n’ait son terme, à peine eut-il achevé la dernière page, que sur l’ordre formel du vieux chef qui, bien que prenant plaisir aux récits évangéliques, se reprochait intérieurement d’avoir enfreint la loi établie en prolongeant l’existence du petit missionnaire, celui-ci dut se préparer à marcher à la mort, soit, ainsi que cela se pratiquait en pareil cas, à être précipité dans l’une des crevasses du Weisshorn.

Pendant que Zachéo, fléchissant sous le poids du volume qu’on avait fortement lié à son cou, s’avançait d’un pas inégal vers le lieu du supplice distant de plus d’une lieue, le glacier, comme s’il eût été impatient d’engloutir sa victime, faisait entendre des craquements sourds et prolongés.

Loin d’être abattu par cette perspective, l’héroïque petit nain ne manifestait aucune crainte, et par des haltes fréquentes ou s’asseyant sur quelque bloc de roche pour être entendu des bergers qui lui faisaient cortège, il profitait des derniers instants pour graver dans leur esprit les maximes de la Parole de vie. A mesure qu’il approchait du fond de la vallée, le nombre de ceux qui l’accompagnaient allait toujours grossissant, et sur tous les visages, il pouvait lire la compassion que son sort inspirait.

De plus en plus aussi, le glacier se faisait menaçant. De sinistres grondements faisaient trembler sa surface azurée et répandaient l’effroi dans les coeurs…; il semblait que le Géant, las d’attendre sa proie, la réclamât à grand cris.

On pressa donc le condamné, et après l’avoir jeté dans la première crevasse venue, tous les assistants s’enfuirent sans regarder derrière eux, pour ne pas être engloutis avec lui.

O miracle ! La crevasse venait seulement de se former par les craquements qui avaient fait hâter l’exécution. Elle se resserrait à une petite profondeur, et la première secousse passée, Zachéo y glissa sans en ressentir aucun mal, dans la même posture qu’un ramoneur dans une cheminée.

Il arriva ainsi sans lâcher son trésor jusqu’au vide qu’avait laissé l’eau fondue du glacier. Après un moment de réflexion, étonné d’être encore en vie, il suivit en rampant le courant jusqu’à la voûte qui lui servit d’issue, et se retrouva à ciel ouvert, trempé de la tête aux pieds, mais sain et sauf.

When, son livre sous le bras, il reparut au milieu des barbares, un immense cri de stupeur accueillit sa venue. D’un commun accord, tous tombèrent à genoux devant lui… Mais il leur fit signe de la main, et les prenant à témoin de sa délivrance, il ne leur en fit que mieux comprendre la puissance du Sauveur qui l’avait si miraculeusement préservé.

A l’ouïe de ce récit, même le coeur du vieux chef s’amollit. Il se fit conduire sur la place, and, au milieu de tout son peuple, il s’écria, les mains tendues: « Jésus de Nazareth est notre Dieu, et Zachéo est son grand prêtre! »

Et après lui, toute l’assemblée répéta les mêmes paroles.

Zachéo déclina cet honneur, auquel selon l’usage des barbares était attachée la charge de chef du pays; mais il s’offrit à conduire une députation des habitants de la vallée à l’évêque de Sion, pour lui annoncer que la tribu tout entière avait résolu de se mettre sous sa houlette, en se réservant toutefois ses droits de franchises civiles.

Peu après, Zachéo extraordinairement consacré prêtre, rentra dans la vallée avec quelques diacres pour commencer l’instruction des idolâtres que, l’année suivante, il eut la joie de baptiser dans les eaux de la Navizance, à la Pentecôte.

 

 

↑ to the top